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Que je te fasse rire, comme disent les moudus avant de te raconter une histoire lamentable : nous nous sommes endormis sur le canapé-lit du salon sans avoir limé la moindre. Pas même un échange de pelles ! Juste un moment, je lui ai placé une main tombée dans la fourche à moustache ; seulement Marie-Marie a bloqué son système de sécurité et c'est tout juste si j'ai pu me rendre compte que sa culotte était beaucoup moins sèche que notre four à micro-ondes. N'ai pas insisté.

Ce sont les petites péteuses qu'on force, sachant qu'elles ne résisteront pas à nos entreprises ardentes. Les intellos, telles que ma Musaraigne, faut jamais les brusquer : elles fonctionnent au chou et c'est grâce au cérébral que tu arrives à tes fins. En faisant le grand tour.

Donc, nous nous sommes abîmés, épuisés de fatigue et d'émotions.

Au matin, Antoinette nous a réveillés. Elle est entrée brusquement au salon, s'est approchée du canapé pour nous contempler, troublée de voir sa maman étendue au côté d'un homme à peine entrevu cette nuit. Elle portait une robe de chambre blanche brodée de petits bateaux bleus, des chaussons en forme de lapin aux longues oreilles. J'ai retrouvé ses yeux pensifs, étranges chez une enfant de son âge.

Puis sa nurse a surgi. Un grand cheval scandinave aux cheveux d'un blond presque blanc et une immense bouche faite pour tailler deux pipes à la fois.

Elle m'a jeté un regard réprobateur en murmurant une phrase d'excuses en suédois décadent. Y a des dialectes qui me font chier sans que je les comprenne. Le sentiment qu'ils servent à pas grand-chose et que ça ne vaut pas le coup d'enseigner ces guttureries alors que t'as tant de jolies langues latines.

Marie-Marie a tendu les bras à sa fille et a dit à la grosse guerrière nordique de s'évacuer.

Au début, tu ressens un sentiment de bonheur teinté de ridicule. Se mettre à jouer papa-gâteau déroute pour un gusman menant mon existence. Tu n'es que gaucherie et tu te comportes en t'efforçant de chasser ta gêne. Et puis la vie opère son entrée en scène, son entrée en cœur, et alors tu glisses dans la félicité kif dans un bain tiède.

Seigneur ! ce qu'elle sent bon, cette mouflette ! Une odeur de nid, n'ayons pas peur des clichés.

Elle parle le français sans accent, avec déjà un bon début de vocabulaire.

Pour l'apprivoiser, je lui plaque des baisers (un cucudet écrirait « des bisous ») dans le cou. Un certain sentiment de défiance, elle éprouve, style « d'où sort ce mec mal rasé ? » Puis elle s'abandonne et, bientôt, nous rigolons comme des fous, tous les deux.

***

Le caoua du matin est toujours stimulant, même à onze plombes. J'en suis à écluser ma quatrième tasse lorsque Jérémie Blanc déboule chez moi, joyeux parce que essoré de fond en comble.

- Comment ça s'est passé ? demandé-je.

- Formidable ! Une extraterrestre de l'amour ! Je l'ai astiquée pendant trois heures et elle en redemandait encore ! Cette frémissante venait de se faire larguer par un jobastre et avait décidé de se foutre à l'eau. Nous l'avons sauvée de justesse.

Je lui sers un café.

- Tu le prends toujours sans sucre ?

Il opine, puis interroge :

- J'ai aperçu une adorable gamine dans le jardin, avec un manteau de fourrure ; de la parenté ?

- Oui, dis-je : c'est la petite-fille de Félicie.

Il ne réagit pas immédiatement. Mais après un instant de réflexion, demande :

- Comment, sa petite-fille ? Tu as des frères et sœurs ?

- J'ai toujours été fils unique et entends bien le rester.

Tu verrais sa gueule bananiesque ! Ses lotos démesurés, sa bouche mousseuse.

- Attends, murmure l'escaladeur de cocotiers, tu voudrais dire que cette gamine...

- C'est du San-Antonio pur jus de couilles, mon Grand !

Je lui résume ma fabuleuse fin de nuit. Tu sais qu'il en pleure, le Mâchuré ? Ce ne sont pas des larmes de crocodile !

Son premier réflexe ?

- Tu vas la reconnaître, dit-il.

Ce n'est pas une question mais une impération. Tiens, ça y est : je viens de créer le point d'impération. Nous a-t-il manqué, le coquin ! Mais qu'est-ce qu'ils foutent les grammairiens ? S'astiquent le nœud sous leur table de travail ? Ne se rendent pas compte de l'urgencerie de la chose, de son « impérativité » ?

Reste à décider du signe. Je verrais un machin de ce genre : « * » ; y a sûrement mieux à trouver, faudrait que des lettristes envisagent la chose.

- Marie-Marie n'est pas là ? demande mon Black-man.

- Elle est partie à la mairie, se renseigner sur les formalités à suivre pour une reconnaissance en paternité.

Il hoche la tête.

- Toi, en père de famille, ça va faire bizarre.

- Tu m'estimes incapable d'assumer ce rôle ?

- J'ai pas dit ça. Simplement, va falloir s'y habituer.

On joue cassos. Dans le jardin, il veut prendre la mouflette dans ses bras, mais ce grand tout noir, si éloigné des Scandinaves, l'effraie et elle court se réfugier dans les jupailles de son ogresse blonde.

- Où allons-nous ? s'enquiert mon frère de cœur.

- Chez les vieux du gamin kidnappé : c'est à deux pas.

On s'y rend pédestrement. Tout en cheminant, je lui apprends le meurtre de Pamela.

Il en est sidéré.

- Dis donc : cette affaire prend de l'ampleur !

- Et je sens qu'on en est au début ! Tu penses revoir ta Mme de Sévigné incandescente ?

- Un lot de ce calibre, ça s'exploite.

- Autrefois, tu ne trompais jamais Ramadé, murmuré-je, cette perspective te faisait horreur...

Il a la réponse qui s'impose, brève et cinglante :

- C'était autrefois !

Bon, voilà la crèche des Charretier : une maison de meulière avec des coquilles cimentées dans l'entourage des fenêtres et un paillasson monogrammé, comme celui du prince Napoléon.

La mother éplorée délourde. Visage bouilli par le chagrin et l'insomnie.

- On a retrouvé son corps ? glapit-elle.

- Hé là, doucement ! m'emporté-je, agacé par la théâtralité de cette gourde, tandis que son mâle surgit des cagoinsses, les bretelles traînantes telle une queue bifide.

Découvrant Jérémie, il clapote dans son égarement :

- Monsieur est nègre ?

Voulant sans doute demander s'il est policier.

- Pas du tout ! le détrompe mon Valeureux. Ramoneur seulement.

Le bruit miséricordieux de la chasse d'eau se mue en un murmure de source avant de s'interrompre tout à fait.

- Nous souhaiterions visiter la chambre de Paul-Robert, fais-je.

Les deux glandus nous guident par l'escalier. La piaule du gamin est la première à droite.

Ses dimensions et son aménagement tendent à faire croire que les darons du disparu ont un standing supérieur à celui des Malapry. A preuve : il dispose, pour faire ses devoirs, d'un bureau en acajou et, pour ses branlettes, d'un cabinet de toilette attenant.

Le Noirpiot s'assied sur la chaise de l'étudiant et inventorie les tiroirs.

- Que fait-il ? demande dans un souffle la mère du ravissé.

- Il cherche, réponds-je.

- Quoi ? dit le père.

- Il l'ignore, expliqué-je, mais le saura quand il aura trouvé.

Ce résumé d'une action policière accroît leur éplorance.

Dans notre job, la présence de la famille constitue un poids mort. Je n'ai pas le courage de virer ceux-ci de la manière anticonformiste dont j'ai évacué la dabuche de Bernard, naguère.

Tandis que le Blondinet des savanes entreprend le burlingue, moi je m'attaque au placard mural. Des fringues dans la partie penderie, pas en masse : « on grandit tellement vite à c't'âge-là ». Principalement des jeans, des tee-shirts, des trucs de sport. Chaussures de ski. Je passe mes pognes à l'intérieur de ces tartines pour robot. De l'une d'elles je ramène un paquet de lettres réunies par un ruban. Toutes sont écrites en anglais et émanent d'une certaine Juny Largo, de Manchester, sa correspondante britannique, je suppose. Elle doit être plus âgée que Paunert, car elle travaille dans une étude d'avocats à Londres.

Les parents étant occupés à surveiller les agissements du « Grand Nègre », j'enfouillasse les missives avant de pousuivre mes investigations, comme on dit puis en littérature de première classe.

Notre perquise achevée, les pauvres géniteurs demandent si nous avons trouvé des éléments susceptibles de faire progresser l'enquête.

Je leur réponds« qu'il faut voir ».

Cette précision ne paraît pas les raies cons fort thé.


Trempe Ton Pain Dans La Soupe
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